Visa d'exploitation - Comment l’article 227-24 du Code pénal a-t-il été adopté ?
Marc Le Roy
Docteur en droit
www.droitducinema.fr
21 août 2015
Art. 227-24 du Code pénal – « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. »
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L’article 227-24 du Code pénal est connu pour servir, entre autres, de fondement à l’annulation de visas d’exploitation attribués à des œuvres cinématographiques. Le Conseil d’Etat estime en effet dans certains cas que cet article impose l’attribution d’un visa assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans si le film contient un message à caractère « pornographique » ou « violent » au sens de cet article (v. par exemple la décision du Conseil d'Etat au sujet du film d'horreur Saw 3D). C’est même cet article qui, à l’occasion de l’affaire Baise-moi, a motivé en 2001 le retour par décret de l’interdiction aux moins de 18 ans au cinéma. Cet article du Code pénal permet à certains justiciables comme l’association Promouvoir d’obtenir l’annulation de visas assortis d’une interdiction aux moins de 16 ans. En se fondant sur cet article la juridiction administrative considère alors que cette interdiction n’est pas suffisante dans la mesure où elle pourrait placer des mineurs face à des images visées à l’article 227-24 du Code pénal. Nous avons déjà eu l’occasion de critiquer l’interprétation extensive de cet article par le Conseil d’Etat en matière d’œuvres cinématographiques. Au-delà de ces critiques, il peut-être intéressant de rappeler de quelle façon cet article a été adopté par le Parlement.
L’article 227-24 a fait son apparition dans le Code pénal à la suite de l’adoption par le Parlement de la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes. L’adoption de cette loi a suivi un processus législatif complexe qui a entrainé la réunion d’une commission mixte paritaire (CMP). C’est justement à l’occasion de la réunion de cette commission composée de sénateurs et de députés que cet article a fait son apparition. Le sénateur Charles Jolibois affichant sa volonté de lutter contre l’expansion du minitel rose a proposé (sur ce point lire le rapport de la CMP) d’ajouter un article 227-17-1 bis (qui deviendra l’article 227-24 après adoption définitive du texte par le Sénat) visant les mineurs et la pornographie (capture d'écran du rapport de la CMP). Le rapport de la CMP nous apprend au passage que c’est Jacques Toubon (futur ministre de la culture et actuel Défenseur des droits) qui propose alors en CMP d’ajouter une mention à la violence et à la dignité humaine à cet article (capture d'écran du rapport de la CMP) . L’article 227-17-1 bis fut finalement adopté par la CMP (capture d'écran du texte adopté par la CMP) puis par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Il est intéressant de noter que cet article visait à l’origine le minitel rose et non les œuvres de l’esprit comme peuvent l’être les œuvres cinématographiques. On sait que l’intention du législateur et les différents documents législatifs liés à l'adoption d'un texte peuvent éclairer le juge lors de l’application d’une loi. Le Conseil d’Etat pourrait s’appuyer sur ce rapport de la CMP pour modifier sa jurisprudence en décidant d’appliquer de façon plus cohérente cet article du Code pénal. La meilleure solution serait peut-être l’abrogation pure et simple de cet article par le législateur mais politiquement, la chose paraît bien difficile à imaginer.
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